Les émotions
Par Claudine Meignin
Chaque jour, plusieurs fois par jour, nous éprouvons des émotions : joie, peur, colère, tristesse, surprise, émerveillement, gratitude, etc. Elles font partie intégrante de notre vie. Elles sont tantôt agréables, tantôt très difficiles à vivre.
Depuis Hammourabi au XVIIIe siècle av. J.-C., en passant par Aristote, Platon, les Stoïciens comme Marc Aurèle, puis Descartes, Spinoza, David Hume, Charles Darwin, jusqu'à Kant et d'autres, nombreux sont les grands hommes qui se sont interrogés au sujet des émotions. La philosophie, la psychologie, la physiologie, l'éthologie, l'ethnologie, l'anthropologie, les sciences humaines se sont intéressées à ce sujet. Aujourd'hui les scientifiques, aidés par des moyens techniques de plus en plus performants et sophistiqués, créent des liens entre différents domaines pour tenter de comprendre ces émotions, leurs natures et leurs effets.
Le mot « émotion » vient du latin exmovere ou emovere qui signifie « mouvement vers l'extérieur » ou « mettre en mouvement ». Par extension, elle désigne ce qui nous met en mouvement, à l'extérieur comme à l'intérieur de nous-mêmes. Il s'agit d'une manifestation physique liée à la perception d'un événement dans l'environnement (externe) ou dans notre espace mental (interne).
À chaque instant, notre cerveau reçoit des milliards d'informations relatives à notre perception, au traitement et à la régulation de nos émotions. À leur tour, ces informations influencent d'autres phénomènes psychologiques tels que l'attention, la mémoire ou le langage (verbal et non-verbal). C'est une expérience subjective qui est en fait composée de plusieurs paramètres : des changements physiologiques (accélération du rythme cardiaque...), des sensations (ventre serré, soif...), des tendances à l'action (fuite, lutte...) et des pensées (je dois répondre à cette situation...).
Pour nombre de philosophes à travers l'Histoire, afin de bien mener sa vie et prendre les bonnes décisions, il fallait suivre la raison. Les émotions étaient ignorées et déconsidérées. L'éducation et la religion, dans de nombreuses sociétés, enseignent à ne pas montrer ses émotions de façon ostensible.
Un héritage ancestral
À l'époque des chasseurs-cueilleurs, les Hommes devaient se déplacer constamment pour trouver de quoi se nourrir. Ces déplacements les confrontaient à des phénomènes inattendus (prédateurs, climat, environnement naturel par exemple) demandant une réponse adaptative rapide. Les émotions vont donc se développer en réponse à différents ensembles de situations récurrentes.
Une émotion est une réaction psychologique et physique à une situation. Elle a d'abord une manifestation interne et génère une réaction extérieure. Elle est provoquée par la confrontation à une situation et à l'interprétation de la réalité. En cela, une émotion est différente d'une sensation, celle-ci étant la conséquence physique directe associée à la perception sensorielle (température, texture...). Quant à la différence entre émotion et sentiment, celle-ci réside dans le fait que le sentiment ne présente pas une manifestation réactionnelle. Néanmoins, une accumulation de sentiments peut générer des états émotionnels.
Les émotions agissent sur nos comportements quotidiens, sur nos choix et nos perceptions. Elles rendent la communication plus efficace et lui confèrent un haut niveau d'impact. En outre, les émotions jouent un rôle clef dans tous les processus d'apprentissage en agissant sur la capacité de mémorisation de l'apprenant, sur sa rétention de l'information et sur son attention.
Les neurosciences et la neurologie, à travers les recherches d'Antonio Damasio notamment, ont montré que le cerveau humain n'a pas la capacité suffisante pour résoudre des problèmes par la logique seule et que les émotions interviennent pour l'aider, grâce à la mémoire émotionnelle. L'Homme est une créature plus émotionnelle que logique. Parfois ses émotions peuvent le submerger, le ramener à des attitudes instinctives.
La psycho-neuro-immunologie et la médecine intégrative « corps-esprit » nous ont appris que les émotions déclenchent dans notre corps une production d'hormones et qu'elles jouent un rôle majeur sur notre santé physique et psychique. Chaque émotion modifie l'équilibre hormonal. Face à chaque situation, notre cerveau opère des réglages et active la sécrétion de diverses hormones (dopamine, adrénaline, cortisol, ocytocine, endorphines), via les glandes endocrines. Des neurotransmetteurs assurent le relais entre les neurones et informent les différents organes, qui augmentent ou ralentissent leur fonctionnement.
De nos jours, on distingue cinq émotions dites de base (ou universelles) : la peur, la colère, la tristesse, le dégoût et la joie. Elles se manifestent par des réponses expressives et physiologiques spécifiques. Les émotions dites sociales (la jalousie, l'envie, la honte, la culpabilité, la fierté...) ne sont pas innées mais acquises. Elles n'engendrent pas d'expressions faciales distinctes ni de réponses physiologiques spécifiques.
À quoi servent nos émotions ?
Face à un événement perturbateur, nos émotions nous permettent de nous adapter, à être en phase avec notre environnement et à communiquer, pour peu que nous acceptions de les écouter. Dans le cas contraire, elles vont engendrer du stress et ces émotions étouffées reviendront. « Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur sous forme de destin », a dit Carl Gustav Jung.
Les émotions nous renseignent sur nos besoins. En effet, tout comme une plante a besoin d'eau, de lumière et de nutriments pour se développer, nous partageons avec tous les êtres vivants de nombreux besoins physiologiques fondamentaux auxquels s'ajoutent des besoins psychologiques. Nos émotions sont d'excellents indicateurs de ce qui est important pour nous. Quand nous pensons que nos besoins sont satisfaits ou en voie de l'être, nous ressentons des émotions agréables. À l'inverse, quand nous avons l'impression que nos besoins ne sont pas satisfaits, nous ressentons des émotions désagréables. Lorsque nous nous coupons de nos émotions, nous nous coupons de ces informations.
Le psychologue et humaniste américain, Abraham Harold Maslow (1908-1970) classe les besoins fondamentaux de l'homme en six catégories principales. De ces catégories découlent de nombreux autres besoins. Ces six besoins fondamentaux sont :
— La sécurité : nous avons besoin de nous sentir en sécurité physique, matérielle et morale.
— La stimulation : nous avons besoin pour vivre de stimulations qui peuvent être physiques (un bon repas...) ou mentales (apprentissages, créations...).
— Les besoins affectifs, sociaux : nous avons besoin d'échanges avec les autres, d'amour, d'amitié, d'appartenance à un groupe.
— L'estime, la reconnaissance : il est important pour un être humain de sentir qu'il a de la valeur, qu'il est compétent, qu'il existe aux yeux des autres.
— L'autonomie : nous avons besoin de sentir que nous pouvons décider par nous-mêmes et pour nous- mêmes, que nous avons une certaine liberté dans nos choix.
— Le sens, la cohérence : il est important pour l'être humain de sentir que sa vie a un sens, de la cohérence. Notre besoin de sens est relié à nos valeurs.
Prendre conscience de nos besoins est fondamental, car c'est sur cette base que l'on va pouvoir choisir les actions à mettre en oeuvre pour les satisfaire. C'est l'identification et l'observation de nos émotions qui nous renseignent sur la satisfaction ou la non-satisfaction de nos besoins fondamentaux. Ces besoins sont relativement limités, mais le nombre de moyens pour répondre à chacun d'eux est potentiellement illimité.
Nos émotions nous parlent de nos besoins fondamentaux mais aussi de nos valeurs, ces directions de vie qui donnent un sens à notre existence. Une valeur n'est ni un objectif, ni un but mais une direction qui guide nos actions (par exemple la justice, l'égalité, la tolérance, le partage, la solidarité...). Des études montrent que si une action est en accord avec nos valeurs, le bonheur augmente, et inversement, si nous sommes heureux, nos actions seront en accord avec nos valeurs.
Dans le cerveau, l'hippocampe (centre de la mémoire) et l'amygdale (centre des émotions) sont proches et très connectés. La mémoire est meilleure avec des souvenirs chargés d'émotions. Mais l'émotion augmente parfois la confiance que nous accordons à un souvenir et le déforme. Le neuroscientifique américain Richard Davidson a récemment montré, grâce à l'imagerie médicale, que des relations entre émotions et réseaux cérébraux spécifiques existent.
Les émotions sont souvent classées comme bonnes ou mauvaises, utiles ou inutiles, recherchées ou évitées. Ces classements et jugements sont regrettables. En effet, les émotions sont toutes utiles. Elles sont des guides inestimables. En revanche, certains effets de nos émotions sur nous-mêmes ou sur autrui peuvent être qualifiés de négatifs, en raison des comportements qu'ils engendrent. Les émotions ont pour fonction de guider nos jugements, de nous protéger des risques, de nous aider à prendre de bonnes décisions. Mais elles peuvent nous conduire à des états de stress, des situations difficiles, des conflits, des souffrances. Elles agissent principalement au niveau de nos pensées, de nos comportements et de nos relations aux autres. Il est donc très important de maîtriser nos pensées, nos paroles et nos actions en usant de notre volonté.
Certes, dans notre vie quotidienne nous ne rencontrons plus d'animaux féroces en liberté, les dangers rencontrés sont différents et plus rares, mais ils existent toujours, et face à une situation dangereuse, les réactions sont les mêmes par-delà l'espace et le temps : notre rythme cardiaque s'accélère ; nous ressentons des tensions musculaires, notre visage change d'expression ; nous avons envie de fuir ou nous nous figeons. Notre attention se concentre sur ce qui nous menace, au point de ne plus rien voir d'autre et d'être paralysés. Les émotions influent donc sur notre attention et notre vision des choses. Des travaux montrent que ce n'est pas tant l'événement qui déclenche l'émotion que son interprétation.
Le philosophe Alain s'exprimait ainsi : « L'émotion est un régime de mouvement qui s'établit dans le cœur sans la permission de la volonté, et qui change soudainement la couleur des pensées. » Les émotions jouent donc aussi un rôle dans nos relations aux autres, parfois à notre insu, à travers des manifestations non-verbales.
La recherche scientifique montre que les émotions non gérées peuvent avoir un effet négatif sur notre santé physique et mentale. Ainsi, une étude de l'University College de Londres montra en 2009 un lien entre les émotions non gérées de colère et les accidents cardiaques. La recherche démontre également que les personnes qui gèrent bien leurs émotions ont plus de chances de rester en bonne santé, de vivre plus longtemps et d'avoir de meilleures relations sociales.
Nous essayons d'éviter au maximum ce qui nous est désagréable ou nous fait souffrir et recherchons ce qui nous est agréable. Or face aux émotions, l'évitement est une option peu efficace face à des événements intérieurs comme des pensées. Ce que l'on croit être une solution devient un problème. La recherche a montré que l'évitement des émotions était non seulement inefficace mais qu'il pouvait avoir l'effet paradoxal d'augmenter notre mal-être à moyen ou long terme.
Exprimer nos besoins laisse aux autres la possibilité de choisir comment répondre à ce qui est important pour nous de la manière qui leur convient le mieux. Exprimer nos émotions et besoins de manière authentique n'est que la moitié du processus. L'autre moitié concerne notre capacité à entendre les émotions et besoins de l'Autre. L'écoute empathique est un très bon moyen de s'ouvrir aux autres et de créer des relations plus harmonieuses. Écouter ses émotions c'est se respecter, soigner l'estime de soi-même. S'il y a des moments difficiles qu'il faut vivre, il importe donc d'accepter de les traverser et de ressentir de la souffrance.
Les émotions agréables (ou positives)
De nombreuses expériences ont permis d'étudier les effets des émotions positives. La psychologue américaine Barbara Fredrickson a notamment démontré que les émotions dites positives élargissaient notre attention et nous offraient des ressources supplémentaires en termes de santé, de créativité et de support social.
Les émotions positives aident entre autres à trouver des ressources, des solutions, à développer la curiosité, à élargir la pensée et à augmenter la tolérance. Elles accroissent la mémoire de travail, la capacité à accepter l'incertitude, facilitent et améliorent les comportements « pro-sociaux » (soutien, services rendus...), la générosité (à l'inverse des émotions négatives), et stimulent la santé. La santé favorise les émotions positives, mais les émotions positives ont un impact plus important que l'inverse.
Gratitude, altruisme et gentillesse
La gratitude est cette émotion qui nous permet d'apprécier la vie telle qu'elle est à un moment donné. C'est aussi celle qui nous rend capable de remercier ce qui est à la source de l'état qui nous réjouit. Elle génère une dette joyeuse envers cette source (les autres, le Dieu de notre cœur). La gratitude augmente l'estime de soi et l'estime des autres.
Les psychologues américains Emmons et McCullough ont montré que les personnes qui éprouvent beaucoup de gratitude sont en moyenne plus heureuses, plus optimistes, plus altruistes, moins matérialistes que les autres. Elles sont également en meilleure santé.
Outre la gratitude, l'altruisme et la gentillesse sont d'autres moyens de cultiver les émotions positives et de faire du bien tant à soi qu'aux autres. La recherche scientifique nous montre que la gentillesse, en plus de nous tourner vers autrui, rend plus heureux, moins dépressif et moins stressé.
Émotions positives et relations : partager nos émotions positives
D'après les chercheurs, dans le rapport entre interactions positives et négatives, un nombre important d'interactions positives est nécessaire pour contrebalancer une interaction négative. Un ratio de 3 pour 1 semble être le seuil au-dessus duquel les relations s'épanouissent. Il serait donc nécessaire de cultiver ses relations pour vivre au moins trois interactions positives pour chaque interaction négative ; mais rien n'empêche d'aller au-delà ! Nous retrouvons là les bienfaits et la nécessité de ce que la Tradition rosicrucienne appelle l'alchimie spirituelle, qui nous invite à développer les qualités inverses de nos défauts.
Nous avons tous expérimenté ce que l'on appelle la « contagion émotionnelle » qui est un transfert des émotions d'une personne à une autre. Faisons donc en sorte de communiquer nos émotions positives. L'équilibre émotionnel n'est pas d'être toujours heureux, ce qui pourrait être dangereux par une vue déformée des choses ne permettant plus de se protéger des dangers potentiels.
Enfin, il est nécessaire de faire un petit pas de côté et d'évoquer Franciscus Bernardus Maria de Waal, plus connu sous le nom de Frans de Waal, primatologue et éthologue néerlandais. Ses recherches sur la capacité innée d'empathie chez les primates l'ont amené à conclure que les grands singes non humains et les humains sont simplement des types de singes différents et que des tendances empathiques et coopératives sont continues entre ces espèces.
En 2011, Frans de Waal et ses collègues ont été les premiers à signaler que les chimpanzés ayant un choix libre entre s'aider seulement eux-mêmes ou s'aider eux-mêmes avec un partenaire, préféraient cette dernière option. En fait, de Waal ne croit pas que ces tendances se limitent aux humains et aux grands singes, mais considère l'empathie et la sympathie comme des caractéristiques universelles des mammifères, une vision qui, au cours des dix dernières années, a été soutenue par des études sur des rongeurs et d'autres mammifères, tels que les chiens. Nous devons donc accorder aux animaux le droit de connaître des émotions et nous nous devons d'avoir de l'empathie pour eux et de les protéger. La science nous apportera sans doute un jour la preuve qu'il en est de même pour les plantes, les minéraux, l'eau. Les travaux réalisés grâce aux photos « Kirlian » ou ceux sur la mémoire de l'eau semblent aller dans ce sens.
Mieux vivre avec nos émotions, c'est prendre le temps de connaître et d'accueillir nos états d'âme plutôt que de chercher à les éviter ou les contrôler. Écouter les messages de notre vie intérieure, prendre soin de soi, marcher avec nos valeurs et cultiver l'altruisme : voilà quelques pistes pour mieux vivre avec nos émotions. Cette manière de vivre sera aussi un chemin pour être relié de manière plus harmonieuse avec le monde qui nous entoure, de mettre notre mieux-être au service des autres.
En tant que chercheurs mystiques, nous devons assimiler nos expériences pour grandir en sagesse. Ne dit-on pas que les émotions sont le langage de l'âme, et ne parle-t-on pas « d'états d'âme » ? Selon l'adage qui nous est cher « Connais-toi toi-même ! », il nous faut donc apprendre à reconnaître nos émotions, à les accepter et adapter nos réactions et notre comportement pour rester dans la ligne droite de nos valeurs. Il nous faut aussi montrer et partager nos émotions positives de joie, de bonheur et exprimer notre gratitude pour celles-ci. Ainsi la Paix, l'Harmonie et l'Amour seront en nous et autour de nous.

Revue Rose+Croix - Automne 2020
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